Camera International n °9 /
Gabriel Bauret
Anne-Marie Louvet a eu ce privilège de pouvoir pénétrer
dans la vie quotidienne d’une famille tunisienne, et d’assister à quelques-uns
de ses rites. Animée par le désir de montrer un pays de l’intérieur,
elle s’est entièrement consacrée à tout ce qui
se passait dans ce milieu familial dont elle a fini par faire accepter
son regard étranger et curieux. Durant ses différents séjours – son
reportage a nécessité un lent travail d’approche au
cours duquel il a fallu surmonter plusieurs fois cette mauvaise conscience
de l’intrus – elle a bien sûr eu l’occasion d’assister à quelques évènements
ou célébrations ; mais ce n’est pas vraiment cela,
ni même quelques activités “typiques” de cette
population, qui l’ont en fin de compte intéressée.
Ce sont plutôt les sentiments, les rapports entre les êtres,
les atmosphères qui se traduisent par des gestes, des expressions,
des regards, qu’elle a tenté de saisir dans leur particularité.
Elle a montré des personnages s’abandonnant de façon
surprenante, des corps prenant d’étranges poses, dont elle
a d’ailleurs très bien su tirer un parti photographique. Et
puis au-delà de l’expression manifeste de la tendresse, de
l’attachement entre les êtres, il y a des sentiments plus diffus,
tels que l’ennui, sans doute lié à la pesanteur du
milieu clos, à la lenteur de la vie. Dans certains visages on lit
même la mélancolie, le désir d’évasion,
la rêverie. Comme s’il y avait eu alors un très court
moment de complicité avec la photographe.