Texte de Pierre Canaguier
Le photographe “fenêtre” transmet les images d’un
monde tel qu’il lui apparaît.
Le photographe “miroir” imagine ce monde.
De LABUS à SUBAL, le voyage spéculaire.
Un spectacle a une durée, durée découpée en
séquences, séquences en tableaux, tableaux en instants. En
instants photographiques. Anne-Marie Louvet ne fixe pas ces instants-là.
Ses images ont d’étranges magies, elles ne montrent pas l’instantané,
elles révèlent que le temps passe.
…
Attachée à la troupe des danseurs, corporellement en mouvement
avec eux, elle a montré une fois de plus que les actes des photographes
ne relèvent pas de leur seul sens de la vue, mais d’une compréhension
du sujet qui requiert toute leur essence, toute leur humanité.
Anne-Marie est une photographe interactive, sa photographie renseigne
la danse, et la danse enrichit sa photographie.
C’est une photographe “miroir”, elle révèle
en images au chorégraphe, des parcelles de visible et d’invisible,
prises dans l’intimité du spectacle en gestation.
…
Imaginez l’image d’un miroir reflétant un miroir, vous
comprendrez alors le voyage spéculaire d’Anne-Marie de LABUS à SUBAL.
…
Anne-Marie sait s’adapter à un contexte nouveau, et au terme
de son voyage dans les miroirs, elle avait rétabli sa vision, pour
nous donner ses images de SUBAL, tout autres que celles de LABUS. Anne-Marie
n’a pas d’étiquette, elle photographie.
Des planches contact à l’épreuve.
Parce qu’un flou est l’indice d’un mouvement, il exprime
le temps qui passe. Parce qu’un autre flou est l’indice de
la profondeur des plans, il exprime l’espace. Parce que la chorégraphie
est temps et espace, les photographies d’Anne-Marie ne craignent
pas le flou.
Parce qu’il y a de l’analogique dans la photographie, parce
qu’elle est empreinte du “ça a été”,
parce que sans cette ponction du réel elles n’existeraient
pas, les photographies d’Anne-Marie ne craignent pas la netteté descriptive.
Informer sur le spectacle ou en exprimer son essence dans le jeu
alterné des flous et des nets ?
Les planches contact d’Anne-Marie me montrent qu’elle évolue
entre ses deux pôles avec une étrange irrégularité.
Irrégulière parce que sans règles, Anne-Marie n’applique
pas un mode d’emploi, elle écrit son histoire immédiate.
Attentive au contexte, presque vulnérable, elle entre dans la danse
pour s’imprimer des images, consciente des aléas, des circonstances.
Ses photographies comportent la part du risque qu’elle prend chaque
fois. C’est le moteur qui la pousse toujours en avant, jusqu’à l’épreuve
du contact.
Le corps du photographe.
Anne-Marie photographie au milieu des danseurs. Dans le mouvement,
elle les enregistre à bout portant.
Elle n’est pas spectatrice, elle est actrice d’images.
Si la photographie saisit le temps, décrit l’espace, Anne-Marie évolue
dans le temps, dans l’espace chorégraphique : ils sont les
matières premières de ses images.
Par ses photographies, elle participe au spectacle, elle s’implique
corporellement à l’intime des gestes, et ses images en révèlent
le fonctionnement.
Photographie et chorégraphie en interaction : le médium c’est
le corps du photographe. Et quand son œil regarde, tous ses sens en éveil
sont ouverts à l’enthousiasme de la danse.