Habiter : témoins de mémoire /
Christian Gattinoni
Il manquait juste une image, une de tous les jours, une image où habiter.
Anne-Marie Louvet l’apporte d’abord sur place, HLM en rénovation,
aux Buers à Villeurbanne, zone à imager en priorité.
Elle choisit de tout documenter, y compris les clichés de cet autrefois
des années trente en collation dans les albums de la cité.
Et les propos rapportés de jadis.
Elle colle à son sujet. Minant le document dans les relations d’identité.
Toujours dans le plus proche respect. Elle traque le convenu du décor,
guette la saga des objets intimes, estime, sur plan, l’appropriation
de son espace par chacun ; elle supervise le passage de la rénovation,
scandé de portraits avoués dans la familiarité de
l’avant-après. Elle double le réel sur son propre terrain
celui de l’exposition, sur place, dans les appartements témoins.
Réinterpréter ces photographies et installations pour la
Maison de l’Architecture c’est amplifier leur champ critique
jusqu’à lui donner une dimension exemplaire. L’accrochage
nous fait parcourir d’abord la réalité du chantier,
depuis les dépositions de tissu via la transparence des plastiques
protecteurs jusqu’à la chute des cloisons ; tandis que la
projection du mouvement des déménagements occupe la cage
d’escalier. Peu à peu nous gagnons accès aux passages
de la mémoire.
Les traces des cadres sur le mur décrivent la géométrie
interne de l’imaginaire des occupants. Au jeu des comparaisons, les
signatures individuelles des espaces semblables nous apparaissent de médiocre
différence, effet d’époque et goût de classe
planifient le portrait-robot d’un appartement lambda.
En phagocytant la fonction des lieux, leur officialité, par l’exercice
partagé de la mémoire Anne-Marie Louvet nous fait complice
de son regard porteur de temps. Elle rend leur format aux anciennes images
du temps. Elle nous guide peu à peu de l’arrogance des panneaux
qui connaissent les exigences muséales au juste écrin des
portraits pour mériter les miniatures de la souvenance.
Sur les étagères les ex-voto familiaux organisent le promenoir
des dédicaces redevenues anonymes. Dans le recoin salon les fauteuils
dialoguent avec leur image, tandis que la mémoire individuelle colonise,
par CD interposé, le téléviseur. Enfin, les tiroirs
abritent les derniers clichés, ceux de la plus banale quotidienneté,
ceux qui convoquent à la fête des autres sens, linges, papiers
satins, objets fanés.
Il manque juste le corps, un corps où rêver cette mémoire,
au spectateur d ’aventurer le sien.